Never say never ;; Retrouvailles {Amber}

Catsoon

« Les amis sont comme les étoiles. Tu ne peux pas toujours les voir mais ils sont toujours là... »

Le soleil avait brillé, dans un de ces ciels qui paraissent irréels tant ils sont dénués de nuages. Les Pragois avaient revêtu leurs habits d'été, et les sourires étaient à la hauteur du temps : éclatants. Bien entendu, dès les premières heures du jour, les rivières du fleuve Vlata avaient été investies de jeunes et de moins jeunes, tous désireux de profiter au maximum de cette journée ensoleillée. Les coins où la végétation n'avait pas encore laissé place au béton avaient été tout particulièrement prisés. S'y étaient pressés enfants, sages comme affreusement bruyants (ceux-là ayant été étonnamment bien plus nombreux que les autres), couples d'amoureux partageant un pique-nique, ou étalant simplement leur bonheur aux yeux de tous, et valeureux employés en tous genres qui avaient décidé de profiter de l'occasion pour souffler un peu en prenant un jour de congé bien mérité.

Désormais, alors que la chaleur décroissait doucement et que le soleil descendait imperceptiblement dans le ciel toujours uniformément bleu, la plupart pliaient bagages, s'apprêtant à reprendre leur petit train-train quotidien. Seules quelques mères bavardes étaient encore plongées dans une discussion animée, tandis que leur progéniture jouait à grand renfort de cris ravis et de chutes tout aussi bruyantes, et amusantes - pour eux du moins.

Et, un peu plus loin, contre un arbre qui semblait dater de plusieurs siècles tant ses racines étaient longues, se tenait nonchalamment accoudé un jeune homme brun. Vêtu d'un polo noir qui ne se prêtait pas vraiment à la chaleur du jour, et d'un jeans passe-partout, il avait de toute évidence pris les premiers vêtements qu'il avait trouvés. Son expression était étonnamment impassible, et il semblait ne pas prêter réellement attention à ce qui l'entourait : d'une main, il arrachait des poignées d'herbes tandis que l'autre, immobile, était posée sur un étui noir qui semblait à la fois dater et avoir été entretenu avec soin, contenant à première vue une guitare.

Il semblait distant et calme, comme déconnecté, et pourtant, Chace fulminait. Toute la journée, il avait tenté de rester de marbre, mais plus les heures passaient, plus son agacement croissait. Entre le couple d'amoureux qui avait roucoulé comme des idiots imbéciles (le pléonasme était définitivement justifié) pendant des heures, et les gamins qui n'avaient pas cessé un instant de gueularder pour des idioties, il n'avait contenu qu'à grande peine son énervement. Cette folie avait atteint son paroxysme lorsque les petits monstres s'étaient improvisés interprètes en herbe et avaient massacré quelques chansons, et par la même occasion les oreilles de Chace, qui s'était abstenu de les complimenter sur leurs belles voix - ils auraient pu prendre cette réflexion au premier degré. Et cela continuait, encore et encore... Dieu, qu'il détestait les enfants.

Il avait l'habitude de se poser dans ce petit coin à l'écart, la plupart du temps désert, et de passer plusieurs heures à gratter en toute liberté sa guitare. Quelques misérables rayons de soleil étaient venus tout bouleverser, et inutile de préciser que pendant toute la journée, Chace avait maudit ce foutu temps qui gâchait sa tranquillité.

Tandis qu'il se demandait si les morveux et leurs génitrices tout aussi formidables allaient se décider à lui laisser son coin "isolé", il sentit un choc sur son épaule. Un ballon de la taille d'un poing venait de le heurter, et une petite fille au sourire d'ange - absolument affreux - arrivait d'une démarche sautillante. Le brun, après un instant de réflexion, décida qu'il avait souffert suffisamment que pour s'offrir un peu de détente, même si c'était aux dépends d'une gamine presque innocente. Il attrapa le ballon d'un geste sûr et se leva dans le même mouvement. Déjà, la petite arrivait :

- Désolée M'sieur, lâcha-t-elle, sa mine angélique toujours étirée d'un grand sourire innocent.
- Tu crois qu..

La réplique de Chace se coinça dans sa gorge, et la froideur de son visage se changea en incrédulité. La gosse le fixait de ses grands yeux, tendant la main, attendant qu'il lui rende son jouet. Et ces deux petites billes azur rappelaient furieusement quelqu'un à Chace. Sans un mot, il lança la balle à la fillette. Sans un bruit, il se rassit. Sans un regard, il tenta de juguler la vague de souvenirs qu'avait provoquée cette gosse. Car elle ressemblait presque trait pour trait à une autre enfant. Une enfant inoubliable. Une enfant avec qui il avait sans doute partagé les plus beaux instants de son innocence. Une enfant qu'il aurait du oublier, qui, pourtant, continuait de le rendre nostalgique. Une enfant qui désormais devait être une femme, et qu'il ne reverrait de toute façon jamais.

Il resta de longues et très - trop - nombreuses minutes immobile, tentant de chasser les images qui avaient envahi son esprit, sans grand succès, puis finit par remarquer que les cris et les rires s'étaient taris : il était de nouveau seul, dans le silence. Avec un soupir ravi (il attendait ce mélodieux silence depuis des heures), il s'empressa de sortir sa guitare de son étui : la musique était très exactement ce dont il avait besoin pour se vider la tête. Après quelques secondes, une mélodie grave s'élevait dans l'air, et le visage de Chace se détendait, tandis que ses doigts caressaient les cordes.

Après quelques instants, Chace avait retrouvé son calme et son détachement habituels. En apparence tout du moins, car, au fond de lui, une petite boule de tristesse et de mélancolie subsistait. Ce n'était pas tant l'amie qu'il avait perdue qui lui manquait - il était assez réaliste que pour se rendre compte qu'elle devait avoir énormément changé depuis tout ce temps, qu'elle avait peut-être même perdu sa façon de rire sans cesse, son dynamisme, sa curiosité à propos de tout, tout le temps. Sans doute avait-elle même perdu sa capacité à faire oublier à Chace tous ses petits soucis en lui lançant un défi aussi idiot que formidablement amusant.

Il avait tellement changé depuis la dernière fois qu'il l'avait vue. Amber. Ce n'était pas tant elle qui lui manquait - même si, en son for intérieur, il osait parfois croire que tout redeviendrait comme avant, s'il la revoyait, qu'il oublierait toutes les emmerdes qui lui étaient tombées sur la tête et redeviendrait un gamin naïf, aux fossettes rieuses. Non, ce qui lui manquait, c'était ce sentiment de chaleur qu'il avait éprouvé au fond de son cœur tendre de môme. L'amitié. Un sentiment qui s'était fait, au fil du temps, au fil de ses désillusions, de moins en moins pur, et de plus en plus rare. Jamais, avec personne, il n'avait retrouvé cette impression de pouvoir tout faire, tout dire, tout être. Jamais. Même pas avec son cousin Jake, qui, pourtant, était celui qui, à ce moment, le comprenait le mieux. Mais ce n'était pas comparable. Pas le moins du monde.

Chace se rendit compte qu'il recommençait à s'enliser dans les regrets. Et simultanément, entendit ce qu'il jouait. Ce n'était plus la mélodie calme qu'il avait entamée en pensant qu'elle lui permettrait de chasser ces souvenirs douloureux. Sans être rapide, elle était rythmée ; sans être lente, elle était douce ; sans être parfaite, elle était enthousiasmante. Il ne pensait même pas se rappeler de cette chanson si simple et si belle. Il pensait l'avoir oubliée, et pourtant, voilà, qu'elle réapparaissait, sous ses doigts, comme par magie. Une mélodie qu'il avait un jour écoutée avec elle. Avec Amber. Une mélodie qui, en grande partie, l'avait poussé à, par la suite, apprendre à jouer de la guitare.

Un sourire dur étira son visage. Il enleva sa main du manche, et reposa son instrument dans l'étui. Il devait être masochiste pour se faire souffrir ainsi. Cela n'avançait à rien. Strictement rien. Il n'était plus un gamin, il n'était plus naïf et innocent, elle n'était plus elle, elle n'était plus sa meilleure amie. En théorie, du moins.

Il leva la tête au ciel, pour observer les nuages, qui, enfin, pointaient dans le ciel qui s'obscurcissait. Il la rabaissa aussi sec, il n'était plus du genre à chercher des animaux ou des cœurs ouatés. Les étoiles, voilà ce qu'il pouvait observer durant des heures. Elles ne tarderaient pas à se montrer. Il réfléchissait sérieusement à passer la nuit dehors, histoire de remettre de l'ordre dans son esprit. Dans la partie de son esprit qui pouvait être remise en ordre du moins.

Puis, il entendit une respiration. D'abord, il ne comprit pas. Son ouïe était fine. Il avait appris qu'elle était parfois bien plus fiable que sa vue. Il était impossible qu'il n'ait pas entendu quelqu'un arriver. Et pourtant... Quelqu'un était bel et bien appuyé sur le même arbre que lui. Il se releva d'un mouvement souple, silencieux, et marcha doucement pour regarder qui daignait - une fois de plus - le déranger. N'y avait-il donc aucun moyen d'être seul ?

Il alla se placer devant la jeune femme qui fermait les yeux, s'apprêta à lui lancer une pique, à lui apprendre que les concerts existaient. Il se tut. Interrompu, pour la deuxième fois en moins d'une vingtaine de minutes, par un flash. Un flash plus vrai de nature. Un flash qui a valeur d'éternité...

« Il la fixe, la détaille, la reconnaît. Doute, redoute, espère. Elle a changé. Beaucoup. Beaucoup trop à son goût. Mais elle est toujours la même. Et pourtant il n'y croit pas. Tant de coïncidences ? Impossible. Elle ouvre les yeux, et leurs regards se croisent. La flamme d'espoir grandit. Elle a l'air tiraillée par le doute, presque effrayée. »

Chace réinvestit la réalité. Elle ne pouvait être là. Il baissa le regard un instant, se traitant de tous les noms. Bien sûr qu'elle avait peur, comment aurait-elle pu ne pas être effrayée après avoir été fixée par un inconnu avec une telle insistance. Il s'apprêta à s'éloigner, releva les yeux une dernière fois, contre son gré. Et ses doutes s'évaporèrent. Elle avait un regard plein d'espoir, un regard qu'il connaissait : le même qu'autrefois.

- A.. Amber ?

Il tendit la main, la rabaissa, de nouveau confus. Il aurait voulu crier, il se contenta de sourire. Pour de vrai. Il n'avait plus souri ainsi depuis tellement longtemps que, avec ce sourire, vint un incroyable bonheur. Sa méfiance habituelle disparut, sa carapace s'évanouit. Il franchit d'un bond la distance qui le séparait d'elle et d'un geste éclatant de ravissement, il prit Amber dans ses bras. Il devait sans aucun doute rêver, mais qu'importait... Et tandis qu'il la faisait tournoyer, comme un gamin - et il en était un à cet instant -, il éclata d'un rire ravi, émerveillé. Un rire d'enfant.

Le doute la tiraillait de toute part. Le jeune homme l’observait avec tant d’attention ! Finalement, il baissa les yeux et Amber fut déçu. Ainsi ce n’était pas lui ? Elle qui s’était promis de ne plus jamais espérer le revoir ! Encore une fois, elle n’avait pus s’en empêcher, et encore une fois, la déception faisait affreusement mal. Elle cligna violemment des yeux, empêchant une quelconque larme de percer. Ce n’était pas la première fois qu’elle pensait le reconnaitre, bien que la dernière fois remonte déjà à plusieurs années. A chaque fois qu’elle avait cru l'apercevoir, elle s’était prise à espérer et sa déception en avait été à chaque fois plus violente. Elle qui ne voulait plus connaitre cette déception ! Voila qu’elle avait recommencé à espérer ! Elle ouvrit la bouche, s’apprêtant à s’excuser auprès de ce jeune homme qu'elle avait fixé plutot intensément lorsque ses yeux furent de nouveaux happés par ceux du jeune homme. C’était impossible que deux personnes puissent avoir ce regard, complètement impossible. Dans les yeux du jeune homme, elle vit briller une nouvelle flamme, une flamme de joie, d’espoir, plus un petit quelque chose qu’Amber n’arrivait pas à identifier… Du bonheur, oui c’était bien ça.

- A.. Amber ?

Ce simple mot, ce simple nom, le sien, suffit à animer son regard de la même flamme qui brillait dans ceux de Chace. Car c’était Chace, elle ne pouvait en douter désormais ! Elle perçut sa confusion lorsqu’il leva sa main avant de la laisser retomber. Elle perçut le bonheur exprimé par le sourire qu’il lui fit. Elle le lui rendit, avec la même force, un sourire qui atteignit ses oreilles aussi naturellement que si elle était née avec. Elle ne voulait même pas essayer d’analyser ses sentiments en cet instant où elle était juste submergé par les émotions, incapable de les saisir, de les comprendre au bond. Le sourire qu’elle affichait était un sourire qu’elle lui avait toujours réservé et, elle qui pensait l’avoir oublié se rendit compte de son erreur.
Lorsqu’il la prit dans ses bras pour la faire tourner, Amber ne put retenir un rire enfantin. Elle souriait, elle riait, elle tournait, submergée par une joie si simple, si pure ! Elle l’embrassa sur la joue. Elle ne voyait plus que lui, Chace, le seul, l’unique, le Chace qu’elle avait toujours connu. Elle était trop heureuse pour penser à lui demander les raisons de sa présence, ici, à Prague. Elle ne pensait à rien d’autre qu’à l’instant surréaliste qu’elle vivait.
Il finit tout de même par la poser au sol. Ils avaient l’air si niais avec leurs immenses sourire, Amber éclata de rire. Les larmes perçaient aux coins de ses yeux, elle les essuya de son bras. Elle ne savait pas si c’était des larmes de joies ou des larmes de rire et à vrai dire, elle s’en moquait. Tout ce qui importait en cet instant, c’était elle, Chace, ensemble, de nouveau. Elle avait l’impression que les dix dernières années n’avaient jamais existées.

-« Whaa Chace, t’as vachement grandit depuis la dernière fois ! » Dit elle dans un sourire.
-« Moi qui pensait que tu resterais toujours un minus !! » Elle sourit et éclata d'un rire cristallin en voyant le visage de Chace faussement contrarié. Elle arrivait toujours aussi facilement à lire en lui, à son grand étonnement. Il n’avait pas changé, malgré ses paroles. Il possédait toujours les mêmes expressions.

Le rire d'Amber se joignit très vite au sien, à son plus grand bonheur. Les dernières onces de doute qui subsistaient encore s'évanouirent pour ne laisser place qu'à l'euphorie de cet instant unique. Tous deux devaient avoir l'air d'idiots, à rire aux éclats comme s'ils venaient de découvrir la huitième merveille du monde, mais à cet instant, Chace n'en avait que faire. En réalité, il ne se préoccupait de rien si ce n'était de l'instant présent. Cela ne lui était jamais arrivé auparavant, mais qu'y aurait-il pu avoir de plus important que celle qui avait été sa meilleure amie ? Il osait presque espérer que leur relation n'avait pas changé, et qu'il pouvait dire qu'elle était toujours sa meilleure amie. Elle l'embrassa sur la joue, et son sourire s'agrandit - Chace en eut l'impression du moins, mais il était déjà tellement immense qu'il n'aurait pu en jurer.

Sentant les muscles de ses bras défaillir, il se résolut à poser Amber sur le sol. A contre-cœur cependant. Son rire se tarit doucement, laissant celui de son amie s'épanouir. Il la regardait toujours, et son bonheur croissait. Des larmes vinrent cristalliser le regard de la jeune femme, le rendant encore un peu plus brillant. Après un instant d'émerveillement, le sourire de Chace se transforma en une moue moqueuse.

- Tu fais bien de pleurer tout de suite, lança-t-il d'un ton narquois. Je compte être absolument insupportable durant les dix prochaines années, histoire de rattraper celles qu'on a perdues !

Il lui adressa un regard carnassier, ne put tenir la mascarade bien longtemps et son visage s'étira à nouveau d'un sourire. Etrange de constater qu'Amber à elle seule parvenait à le faire changer si profondément. Alors que d'habitude, le seul sourire qu'il parvenait à former - avec beaucoup de difficulté - était moqueur et froid, là, il ne pouvait en retenir un, ravi, presque émerveillé. Dans n'importe quelle autre situation, il se serait donné des claques, à n'en pas douter ! Depuis quand agissait-il comme un optimiste ? Mais à ce moment précis, comment aurait-il pu faire autrement, très sincèrement ?

Les piques taquines d'Amber faillirent le faire éclater de rire, à nouveau. Il retrouvait bien là les répliques gentiment moqueuses de la jeune femme. Ils avaient d'ailleurs coutume de s'en adresser une bonne centaine par jour, au moment où le destin ne les avait pas encore séparés. C'était comme une façon, pour tous les deux, d'exprimer leur attachement l'un à l'autre, sans le formuler clairement. Et puis, c'était tellement plus amusant que de simplement se dire à l'un et à l'autre qu'ils s'adoraient - ce qu'ils savaient de toute façon tous les deux pertinemment.

Il se composa, à grand-peine, une mine contrariée, presque vexée, et répliqua d'une voix grave.

- Voyons, c'est toi qui a toujours été la minus de l'histoire. Et, contrairement à moi, tu n'as pas grandi tant que ça.

Il se tut un instant, histoire de pouvoir adresser à Amber un sourire ironique.

- D'ailleurs, je suis heureux de voir que tu es toujours en vie. J'avais quelques doutes sur ta capacité à survivre sans quelqu'un pour t'empêcher de réaliser toutes tes idées stupides.

Son sourire s'agrandit, son esprit tout à coup investi d'une idée. Totalement stupide, justement. Au moins aussi stupide que celles qu'Amber avait coutume de proposer. Il ne pipa cependant mot, attendant que la jeune femme réponde. Leurs joutes orales lui avaient trop manqué pour qu'il interrompe celle-ci si vite. Et puis, il était impatient de voir si Amber avait gardé son sens de la répartie.